mardi 25 novembre 2014

Quand vient la nuit


de Mickaël Roskam, avec Tom Hardy, James Gandolfini, Noomi Rapace, Matthias Schoenhaerts (1h47).
Bob Saginowski est barman chez son cousin Marv' dans le quartier de Brooklyn. Taciturne, il observe avec détachement la circulation d'argent mafieux transitant par les bars du coin. Jusqu'au jour où son bar est victime d'un braquage...

Après la Belgique, l'Amérique pour Mickaël Roskam

Après le très remarqué Bullhead, le réalisateur flamand Mickaël Roskam s'est vu offrir pour son premier film américain la mise en scène d'un scénario de Dennis Lehane, auteur de Mystic River et de Shutter Island.

Avec une partie de son équipe belge parmi lesquels Raf Keunen à la composition musicale et Nicolas Karakatsanis à la photographie, il s'est attaché à reconstituer un Brooklyn terne et corrompu dans lequel tout est à vendre, y compris les églises que l'on transforme en immeubles d'habitation.

Dans ce monde interlope qui a perdu une grosse partie de ses valeurs, son personnage principal, fait figure de résistant en s'évertuant à sauver un chien battu et laissé agonisant dans une poubelle. Et si cette mission à laquelle Bob accorde beaucoup d'importance cachait un non-dit ?

Une brochette d'acteurs cosmopolite

Après avoir terrorisé Gotham City dans le dernier volet de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan (The Dark Knight rises), l'anglais Tom Hardy trouve ici un rôle beaucoup plus ambigu qu'il n'y paraît aux côtés de la suédoise Noomi Rapace découverte dans Millenium, de l'américain James Gandolfini popularisé par la série des Sopranos et du belge Matthias Schoenhaerts, acteur fétiche de Mickaël Roskam repéré dans Bullhead et confirmé dans De rouille et d'os.

Certes, le scénario n'est pas un chef d'œuvre d'intrigue et de tension comme La nuit nous appartient de James Gray auquel le titre français semble faire implicitement référence. Mais il nous réserve néanmoins de belles surprises. Quand vient la nuit réussit à interroger le spectateur sur la difficulté de vivre de manière intègre dans un milieu corrompu.

Un film à voir pour retrouver l'ambiance des polars américains et se laisser surprendre par l'ambivalence du personnage principal.

jeudi 16 octobre 2014

Leviathan

d'Andreï Zviaguintsev avec Alexeï Serebriakov, Elena Liadova, Vladimir Vdovitchenkov (2h21). Prix du scénario au festival de Cannes 2014.

Kolia est garagiste dans une petite ville de bord de mer, au nord de la Russie. Il y vit tranquillement avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma, qu’il a eu d’un précédent mariage.

Jusqu'au jour où Vadim Cheleviat, Maire de la ville, décide de s’approprier -de gré ou de force- le terrain où se trouve la maison de Kolia. Comme il refuse de vendre, le maire se fait de plus en plus menaçant...

Entre métaphore biblique et conte politique

Monstre marin à plusieurs têtes évoqué dans la Bible (Psaumes, Livres de Job et d'Isaïe) et dans la poésie hébraïque, le Léviathan est souvent associé à la bête de l'Apocalypse représenté sous des allures de dragon, mi-serpent mi-crocodile.

Mais Leviathan est aussi le titre d'un essai philosophique et politique du théoricien anglais Thomas Hobbes. Dans son essai qui se veut la base d'une science de la morale et de la politique, Hobbes définit un état de nature dans lequel "l'homme est un loup pour l'homme".

Le seul moyen de lutter contre l'instabilité et l'insécurité de cet état de nature serait pour les individus de se fédérer et de confier leur défense à un souverain au pouvoir absolu chargé de faire régner l'ordre au sein de l'Etat. Que deviendrait cependant le peuple dans un Etat souverain omnipotent gouverné par des dirigeants peu scrupuleux, semble interroger le film ?

Un film sombre et puissant

Métaphore biblique ou conte philosophique, le Leviathan d'Andreï Zviaguintsev est un film sombre, sans doute encore plus grave que son précédent film, Elena.

Il y a très peu d'espoir dans cette Russie de Poutine et des oligarques russes que nous décrit le réalisateur russe. Ici, la vodka semble bien être le seul remède, précieux breuvage annihilant partagé par le peuple et les nantis évoluant dans une société délétère où même la religion n'apparaît plus comme un refuge.

On en sort groggy et soulagé de vivre dans une démocratie !

jeudi 9 octobre 2014

Filmer l'histoire : discussion avec Bertrand Tavernier au Kursaal de Besançon


Invité à Besançon les 6 et 7 octobre à l'occasion d'un cycle consacré à ses films, Bertrand Tavernier a participé mardi au Kursaal à une rencontre animée par Pascal Binetruy sur le thème : Filmer l'histoire.

Devant un parterre de cinéphiles au rendez-vous, le réalisateur a évoqué avec le critique cinéma de Positif la façon dont il travaille sur un film historique avec son équipe (scénaristes, décorateurs, costumiers, chefs-opérateurs, comédiens...).

Un soin particulier accordé aux décors


Où l'on découvre le soin apporté par le metteur en scène à la recherche d'un décor qui permette l'installation de la dramaturgie et reflète intrinsèquement les événements évoqués dans le film. Ainsi, le cinéaste et son décorateur ont passé pas loin de 2 mois à chercher le tunnel qui sert de décor dans La Vie et rien d'autre (1989).

A la reconstitution, Bertrand Tavernier préfère largement l'idée d'une re-création de l'époque dans laquelle se situe l'action du film. Il explique par exemple qu'il a volontairement refusé l'utilisation des fraises dans les costumes de La Princesse de Montpensier (2010) dans la mesure où ce sont pour lui des attributs d'apparat et non des éléments vestimentaires du quotidien.

Donner une dimension physique de l'époque


S'il n'a pas évoqué explicitement le terme, le cinéaste semble en quête permanente d'"authenticité" lorsqu'il réalise un film historique, cherchant à "donner l'impression que ce sont les personnages qui écrivent le scénario". Dans La Princesse de Montpensier, le point de vue du film est volontairement restreint à ce que Marie connaît de son époque.

Bertrand Tavernier ne cherche pas à donner une leçon d'histoire mais veille avant tout à "donner une dimension physique de l'époque évoquée". Puisque Madame de La Fayette (auteur de la nouvelle) a dû se battre pour écrire, il invente dans son film une scène dans laquelle Marie de Montpensier lutte pour que Chabannes lui apprenne a écrire. "Il faut rendre la caméra contemporaine des personnages, de leurs émotions, de leurs doutes, de leurs passions", dit-il.

Si l'histoire et cette dimension "réaliste" vous intéressent, vous avez jusqu'au 15 octobre pour voir ou revoir au Kursaal la Première guerre mondiale selon Capitaine Conan et le commandant Dellaplane (La Vie et rien d'autre) ou encore l'occupation allemande vécues par Jean Devaivre et Jean Aurenche (Laissez-Passer).

A ne pas manquer également lors de ce cycle Bertrand Tavernier au Kursaal :
  • La Mort en direct (1980) avec Romy Schneider, Harvey Keitel et Harry Dean Stanton,
  • Dans la brume électrique (2009) avec Tommy Lee Jones et John Goodman d'après le roman de James Lee Burke.

mardi 26 août 2014

Winter sleep

de Nuri Bilge Ceylan avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbağ (3h16).

Ancien acteur à la retraite, Aydin, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal et sa sœur Necla. Avec l'arrivée de l'hiver, les tensions entre les personnages se font de plus en plus fortes et les rancœurs s'invitent dans les conversations...

Reconnaissons-le, Nuri Bilge Ceylan sait mieux que quiconque filmer les paysages sauvages et rigoureux de l'Anatolie. Les cadrages parfaits et la lumière magnifique qui se dégagent de ses plans d'intérieur comme d'extérieur donnent à ses décors un côté intemporel qui sied bien aux propos existentiels de ses personnages.

On pourra reprocher à son film un côté théâtral mais il est totalement revendiqué par le réalisateur qui cite explicitement Shakespeare et surtout Tchekov comme sources d'inspiration. On pourra également lui trouver des longueurs, mais le temps n'est-il pas ici un personnage à part entière, source de vieillissement, de lassitudes, d'usure et d'ennui ?

Winter sleep est un film exigent et profond. Mais pour être appréciée à sa juste valeur, la Palme d'Or 2014 demande qu'on l'appréhende avec recul et philosophie et que l'on s'imprègne lentement de son atmosphère à la fois intimiste et brutale. Faute de quoi le sommeil vous guettera...